Un régime d'exception issu de l'après deuxième guerre mondiale : Euratom



Origine d'Euratom

         La Communauté Européenne de l’Energie Atomique, CEEA, dite EURATOM (EURopean ATOMic Energy Community), a été instituée par un traité signé à Rome le 25 mars 1957 par les six pays membres de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA, créé le 18/04/1951), en même temps que le traité instituant la communauté économique européenne (CEE).

         Les conditions étaient tout à fait exceptionnelles et uniques : le sorti de la 2ème guerre mondiale. Las de la guerre les six pays du continent étaient face à leur passé récent peu glorieux, chacun pour ses raisons propres, et la question était : comment allaient-ils se re-parler. Un personnage atypique, businessman autodidacte à l'international, au mieux avec l'administration américaine, mais français, Jean Monnet, s'est lancé dans une énergique initiative de couloir afin de faire une Europe fédérale à l'américaine ().
Le redémarrage économique ne pouvait se faire a priori que si ces pays disposaient d'acier et donc de coke (charbon cokéfiable de la Ruhr indispensable à la sidérurgie française). Afin d'évacuer les complications, il a promu des pourparlers ne regardant que ces deux sujets exclusifs. Connu comme le Plan R. Schuman, ministre des affaires étrangères conquis par l'idée, l'annonce surprise a été accueillie comme le départ d'un changement d'ère, et c'est ça le succès de la CECA, qui finira par être signée, ensuite validée par six parlements : les ennemis d'hier se rencontraient pour parler futur, et les équipes politiques au pouvoir ont accepté une Haute Autorité , supra-nationale, sur ce sujet là (chacune pour des raisons qui lui étaient propres à ce moment). Le fait que la CECA ensuite ne marchait guère comme l'idéal escompté est moins important.

         Mais cette dynamique a été stoppée par l'échec de la Comunauté européenne de Défense, CED/plan Pleven, un traité signé le 27 mai 1952 à Paris par les ministres des affaires étrangères des six, ratifié par les parlements des 5 autres pays mais rejeté par la France alors que c'est des français qui l'avaient initiée. Cela avait été lancé très vite en réponse à la soudaine crise de Corée qui modifiait la position américaine, trop vite peut-être pour tout ce que cela entrainait de supranational, de politique, de financier et de psychologique.

         Jean Monnet a alors relancé le fédéralisme en procèdant une nouvelle fois avec un sujet délimité concret pris isolément du reste pour supprimenr des complications dans les négociations. Cette fois avec P-H. Spaak de Belgique ils choisissent "ce prodigieux succès de la technologie" qu'est disaient-ils, l'atome. Pourquoi l'atome, pourquoi prodigieux ? Les flashs d'Hiroshima-Nagasaki ont eu, et la preuve, et ont toujours, un effef fulgurant, en dehors de leur destruction massive de civils (), sur les neurones cérébraux d'une majorité d'élites. De cette "démonstration réussie" on est passé à "l'atom for peace" de D. Eisenhower devant l'ONU en décembre 1953. J. Monnet écrit dans ses mémoires : "Les rapports de nos experts ne laissaient aucun doute, l'énergie d'origine nucléaire supplanterait toutes les autres sources avant la fin du siècle - et pour des siècles.", "apporterait aux hommes une inépuisable source d'énergie" . Il était bien renseigné il faut dire, Jules Guéron qui a travaillé dans un volet annexe du projet Manhattan au Canada, qui est dans les créateurs du CEA, directeur du tout neuf Saclay de 1951 à 1954, est proche cousin germain par alliance (et les deux sont chimistes) du plus indispensable adjoint de J. Monnet, l'ingénieur civil des mines, surtout ancien directeur chimiste de Kuhlmann, Étienne Hirsch (J. Guéron embauche au CEA la fille de E. Hirsch qui se marie avec le CEA E. Roth; le binome E. Hirsch et J. Gueron sera à la commande d'Euratom de 1959 à 1962). Tout le monde fait confiance aux experts, l'explication n'a jamais eu la préténtion de dépasser cette soummission à ces humains qu'on nomme experts. Le Comité de lobbying de J. Monnet actif en 1956 poussait l'objectif : " Le développement de l'énergie atomique à des fins pacifiques ouvre la perspective d'une nouvelle révolution industrielle et la possibilité d'une transformation profonde de travail et de vie. ".
Par conséquent J. Monnet, P-H. Spaak et leur entourrage restreint étaient quasi certains que Euratom serait voté sans difficulté par les six (là aussi chaque pays avec son arrière-pensée propre). Pierre July, député qui a eu un discours colonialiste raciste nauséabond au parlement le 06 mai 1947 lors de l'insurrection des campagnes malgaches, Grande Île dont depuis, sur décision de Pierre Guillaumat, le CEA exploitait les minerais d'uranium thorium et béryllium, fait pour Euratom l'apologie de l'énergie nucléaire indispensable pour l'Europe devant la chambre le 05/07/1956 (alors qu'il avait voté contre la CECA).
         L'atome militaire est soigneusement rangé dans une armoire adjacente : la France pouvait faire sa bombe 100 % nationaliste à coté, les cinq autres pays, comme Jean Monnet, acceptaient cela. Jacques Van Helmont (formation SciencesPo), disciple de J. Monnet, Directeur du service de contrôle de Euratom de 1958 à 1962 : " Le contrôle d'Euratom s'arrête au stade où les matières sont en cours de façonnage spécial pour des besoins militaires ".
         De l'avis unanime, la crise de Suez, lors de laquelle les USA se sont désolidarisés de l'agresseur à l'amère suprise d'européens humiliés a énormément aidé les fédéralistes. Du coup, la CEE pour laquelle les débats parallèles étaient beaucoup plus complexes que Euratom et l'accord toujours loin d'être acquis peu avant la signature, particulièrement pour la France, est passée en même temps.



Il y a 65 ans, le 25 mars 1957, signature à Rome de Euratom et de la CEE (au Capitole, salle des Horaces et des Curiaces un jour de pluie diluvienne), ici les délégations belges et françaises. Jean Monnet, ancien golden boy, cerveau du fédéralisme américano-compatible, familier des chefs d'Etats et grands financiers mais inconnu du public alors, n'est pas sur les photos; Mais les détails ("mission... croissance rapide des industries nucléaires ") étaient au soin des "spécialistes" : au 2ème rang, l'X-Mines Pierre Guillaumat (son CV ), administrateur du CEA, organisme qui paufinait sa bombe de destruction massive qui explosera à Reggane 3 ans plus tard.

C'est parti...

         En février 1959 vient le deuxième président de Euratom, Étienne Hirsch, qui rapporte ("Ainsi va la vie", 1988, p. 147 à 151): " Louis Armand, président de la Commission d’Euratom, tombé malade, selon moi, d’être éloigné de sa passion, les chemins de fer, ne pouvant plus exercer ses fonctions, Monnet, fort inquiet pour la survie de l’institution, a suggéré au Gouvernement français de me proposer la succession d’Armand… "(...)" Alors qu’aucune activité de recherche n'avait été entreprise, il y avait déjà à Bruxelles un effectif de 600 fonctionnaires, évidemment incompressible... Le directeur général de la recherche et de l’éducation [de Euratom, de 1958 à 1968] était mon beau-frère Jules Guéron … Le directeur général de l’Agence d’approvisionnement était incapable et buvait. Je l’ai remplacé par Fernand Spaak, fils de Paul-Henri... ",
p. 160 : " Les équipes de recherche, inexistantes à mon arrivée, comprenaient à mon départ un effectif de 1700 personnes... Il fallait trouver pour Ispra un thème central de recherche… c’est la filière Orgel (réacteur nucléaire à eau lourde et refroidi par un liquide organique) qui a été retenue. Ce choix… s’est finalement montré peu heureux… Le chef du projet est... devenu, lorsqu’il a quitté Euratom, le directeur général de Framatome... " [Jean-Claude Lenny, pendant 26 ans, mais sur brevet américain, et qui en retour d'ascenceur prendra J. Guéron comme conseiller de 1974 à 1982].  p. 161 : " Un domaine dans lequel il a été possible d’assurer une bonne coordination des recherches, évitant les doubles emplois, est celui de la fusion… la compétition entre industriels était inexistante. "
         p. 155 : " L’article premier du Traité stipule: « La Communauté a pour mission de contribuer, par l’établissement des conditions nécessaires, à la formation et à la croissance rapides des industries nucléaires, à l’élévation du niveau de vie dans les États membres...». Il s’agissait de remplir dans les plus courts délais cette mission. Monnet... a pensé que le mieux était de s’adresser à ceux qui possédaient le maximum d’expérience : les Américains. » " p. 151 : " J’ai reçu, entre autres, le président de l’Eximbank... Cela m’a valu un crédit destiné aux constructions de centrales nucléaires…  " ; p. 158 : " J’ai rendu visite au Secrétaire au Commerce, Lewis Strauss… il avait été, jusqu’à récemment, président de l’AEC (Atomic Energy Commission); mais, d’origine, il était banquier, et mon oncle Lionel Hauser était son correspondant à Paris... ".
p. 161 : L'Euratom " a établi pour une période de vingt ans des prévisions concernant la construction de centrales nucléaires et montré que, dès que le prix de revient de l’électricité nucléaire deviendrait compétitif, on ne construirait plus que des centrales nucléaires, à la seule exception des sites où l’on disposerait de combustibles d’un prix particulièrement bas (lignite, produits résiduaires, hydraulique)... Il importait que compagnies d’électricité et constructeurs de centrales se préparent à un tel virage. "
         Etienne Hirsch ( Annexe A-2.) est ensuite Administrateur général du CEA de 1963 à 1970.

L'Euratom actuel : un blockhaus pour le lobby

La CECA a été dissoute en 2002 et intégrée à la Communauté Européenne. Mais, 65 ans plus tard, ce compartimentage nucléaire "civil" qui n'était que tactique diplomatique pour accèder à du fédéralisme reste bétonné par un lobby trop ravi de son intouchabilité. Euratom " ... échappe bien sûr au droit ordinaire de la Communauté Européenne en fonctionnant en dehors : aucun député européen n'a de prise sur lui. Il est dans les mains de six chef d'état" (D. Glatigny, Criirad) en eux-mêmes non compétent-e-s techniquement.

Il y a déjà ce à quoi on a échappé sans la combativité de quelques personnes. Ainsi à l'automne 1986 des "experts" de Euratom, anonymes, voulaient imposer comme norme pour notre nourriture en cas d'accident atomique, de 30 000 à 300 000 Bq/kg, "des limites qu'on peut qualifier de criminelles". La députée écologiste allemande Undine-Uta Bloch von Blottnitz, Rapporteuse, écrit la CriiRad, a contré tant que peut au parlement européen (qui n'a qu'un rôle consultatif), "son rapport proposait par exemple une limite de 125 Bq/kg" (T.U. CriiRad n°77, p. 24).

Le député européen Paul Lannoye était rapporteur lors de la préparation de la Directive Euratom 96/29 sur les "normes de base en matière de radioprotection". Elle était non satisfaisante sur deux points essentiels,  a) la méthodologie CIPR restait sur une approche méchanistique issue d'expositions aiguës externes pour des expositions internes chroniques,   b) elle posait des valeurs-seuils en dessous desquelles, en fractionnant ou diluant, les exploitants peuvent se débarasser en disséminant. Des amendements ont donc été avancés pour rectifier le texte. Cela dit-il : "n'a été pris en compte ni par la Commission Européenne, ni par le Conseil des Ministres, le cadre du traité EURATOM leur laissant toute liberté d'ignorer le parlement... déni de démocratie".

Corinne Lepage ("La vérité sur le nucléaire - Le choix interdit-", 2011 p. 61) : "... ni l'Agence européenne de l'environnement ni le centre européen de prévention et de contrôle des maladies ne peuvent évoquer le sujet ! C'est une conception totalement dépassée de la démocratie... (...).

Alors qu’EURATOM est chargée de développer en Europe des industries nucléaires les plus puissantes et envahissantes possible, c’est donc dans cette structure bétonnée que sont définies les normes de protection contre les dangers de la radioactivité. Le conflit d'intérêt est au détriment de la protection des populations. Notamment ce que les experts d'Euratom ont réussi à faire passer pour les situations accidentelles à venir est redoutable, inconnu de 99,99 % des concerné-e-s, nous-tous (ici). Ces " normes " risquent fort de l'être, connues un jour, de ces 99,99 %, mais il sera un peu tard alors pour s'offusquer.

Les "experts" qui signent ces documents qui vont avoir des conséquences médicales et ce qui suit sur une populations ne sont "que" des humains. Ils/elles font pipi et caca comme tout le monde et peuvent mentir de diverses manières comme tout le monde. Très très mauvais signe, et révoltant vu l'enjeu, tout est fait pour qu'on ne sache pas de qui il s'agit, comme l'a désagréablement découvert la CriiRad : .
Au bout de deux ans et demi (!) de procédures de la CriiRad le voile sur les noms a été levé. Mais déjà les normes avaient été adoptées... Les 3 personnes de France par exemple ont été pour cela : Jean-François Lacronique, Jean Piechowsky et Annnie Sugier. Le professeur Lacronique par exemple : " D'après lui les retombées radioactives de Tchernobyl ont été bien gérées par les responsables, et notamment son prédécesseur, le directeur du SCPRI " (CriiRad et Andra Paris, 2002, ici p.34). Vu les chiffres qu'ils/elles ont imposés comme poids à porter par les futur-e-s irradié-e-s, il fallait s'attendre à quelque chose de ce genre : un copain du professeur Pellerin...

Michèle Rivasi, députée européenne (AG CriiRad 2020) :

"Le parlement européen n'a pas de voix décisionnaire sur ce traité, seulement consultative. Il faudrait que cela change et c'est une demande du Parlement Européen. Celui-ci a par ailleurs attaqué à la Cour de Justice le financement des deux EPR d'Hinkley Point en Angleterre, parce que le financement se présente sous la forme de subventions déguisées. Mais le recours du Parlement n'a pas pu aboutir, justement parce que le nucléaire est sous la tutelle du traité Euratom, pas du parlement."

Et discrètement Euratom aspire du financement public à son profit : "... 54 % du budget de la recherche communautaire sont alloués à l'EURATOM." (soit 2,7 milliards pour le 7è programme-cadre) (C. Lepage, idem)

Euratom était un dérivatif pour pouvoir arriver à une Europe entre anciens ennemis alors qu’aujourd’hui un lobby s’en sert au contraire pour casser l’Europe en corporation hors de toute démocratie, comme dans le bon vieux temps du régime de Vichy par ex.


Les élect/rice/eur/s d'Autriche et d'Italie ont opté contre l'usage "civil" du nucléaire ( et ).

Avec une autre association autrichienne, Global 2000, suite à la Nuclear Energy Conference 2017 (), l'association autrichienne atomstopp avait déjà rédigé un projet de résolution appelant à la révision/résiliation d’Euratom.

La CriiRad a déjà co-organisé une pétition   et seize mille cent quatre vingt dix-huit signatures, en ligne ou papier, ont été remises au Palais de l'Élysée le 14 mai 2019 (cette action là est terminée, sans que l'Élysée ne bouge).